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Pour une lecture ignatienne de "Laudato Si"


 
L'encyclique Laudato Si est riche et permet des lectures multiples. On peut en extraire les points les plus forts et qui ne laissent pas de doute sur la pensée du Pape, comme la responsabilité de l’homme dans le changement climatique. On peut à l’inverse privilégier les points de consensus, comme l’importance de la louange ou s’appuyer sur quelques passages plus balancés, comme le progrès technique. On peut enfin approfondir des passages plus complexes mais essentiels comme la place de l’homme dans la création. Dans tous les cas la lecture risque d’apparaître partisane ou partielle. Essayons donc une grille de lecture ignatienne.
 
Louer et ralentir
Le début de l’encyclique commence par la louange en se référant à François d’Assise, il se termine aussi par un appel à la louange. Mais il rappelle aussi le début de Principe et fondement : "L'homme est fait pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur et par là sauver son âme...". Le respect de la création est, pour le pape François, la condition du respect de l'homme lui-même. Si je ne prends pas le temps d'admirer et de louer la création, je ne pourrai pas la respecter pour ce qu'elle est : "Ralentir la marche pour regarder la réalité d'une autre manière" (114). Le Pape demande aussi de "ralentir un rythme déterminé de production et de consommation", ce qui "peut donner lieu à d'autres formes de progrès et de développement" (191).
 
C’est une remise en cause de l’augmentation chaque année du rythme de production, de la productivité du travail, donc de la croissance. C'est un appel à la résistance, pas facile. Ralentir dans nos déplacements, ralentir la conduite de nos projets, y compris professionnels, ne pas répondre « tout de suite » aux sollicitations. Un luxe ? Non, une nécessité vitale.
 
Unifier sa vie dans un mode de vie simple
Ignace nous demande d'être indifférents à devenir riche ou pauvre, pourvu que ce soit pour la plus grande grâce de Dieu. Le pape François appelle les habitants des pays riches à devenir moins riches, donc plus pauvres. En effet la richesse dont nous disposons est en grande partie prélevée sur les plus pauvres, volée disent même les évêques de Nouvelle-Calédonie : "vingt pour cent de la population mondiale consomment les ressources de telle manière qu'ils volent aux pauvres, et aux futures générations " (95).
 
La relation entre sobriété et simplicité est complexe et dialectique. La sobriété c'est consommer moins, la simplicité c'est le fait d'être "un", ne pas être divisé. La sobriété favorise la simplicité et inversement.
Dans son encyclique le pape François alterne ainsi l'appel à la sobriété pour des raisons de justice : « Nous savons que le comporte­ment de ceux qui consomment et détruisent tou­jours davantage n’est pas soutenable, tandis que d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des res­sources pour une saine croissance en d’autres par­ties » (193).
 
La sobriété ouvre la voie à la simplicité du point de vue du détachement des biens « La spiritualité chré­tienne propose une croissance par la sobriété, et une capacité de jouir avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est petit, pour remercier des pos­sibilités que la vie offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni nous attrister de ce que nous ne possédons pas » (222).
 
Puis il  revient sur la sobriété comme vecteur du bonheur : « Le bonheur requiert de savoir limi­ter certains besoins qui nous abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux multiples possibilités qu’offre la vie «  (223).
 
Et enfin sur la simplicité du point de vue de l'unification de notre vie, unité intérieure, conscience de l’unité de la création : «  Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une sobriété heureuse, sans être en paix avec elle-même. La juste compréhension de la spiritua­lité consiste en partie à amplifier ce que nous en­tendons par paix, qui est beaucoup plus que l’ab­sence de guerre. La paix intérieure des personnes tient, dans une large mesure, de la préservation de l’écologie et du bien commun, parce que, au­thentiquement vécue, elle se révèle dans un style de vie équilibré joint à une capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la vie » (225).
 
Dans quel domaine puis-je diminuer ma consommation de ressources, en le vivant positivement ? Réduire mes achats et disposer d’un peu d'argent pour aider tel ou tel ? Réparer au lieu d'acheter et prendre plaisir à améliorer mes compétences ?
 
 
L'option préférentielle pour les pauvres
En toutes choses…
Le Pape définit l’écologie intégrale (10, 137, 139) comme une conception multi-relationnelle de la création, qui inclut l’humanité, et qu’il oppose à l’écologie superficielle (59, 197). Ceci me semble une avancée importante par rapport à la notion, plus vague, d’écologie humaine. Il y a une seule crise, environnementale et sociale : « Il n’y a pas deux crises sépa­rées, l’une environnementale et l’autre sociale, mais une seule et complexe crise socio-environnemen­tale. Les possibilités de solution requièrent une ap­proche intégrale pour combattre la pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et simultanément pour préserver la nature » (138). Cette approche nous rappelle « en toutes choses » d’Ignace, formule citée explicitement « L’idéal n’est pas seulement de passer de l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver en toute chose, comme l’enseignait saint Bonaventure » (233), ou encore « le mystique fait l’ex­périence de la connexion intime qui existe entre Dieu et tous les êtres, et ainsi ‘ il sent que Dieu est toutes les choses’ » (234).
 
La préférence pour les pauvres
Le pape François associe systématiquement la pauvreté chez les hommes et l’exploitation de la création. Il associe les pauvres et la terre dans le début « parmi les pauvres les plus abandon­nés et maltraités, se trouve notre terre opprimée et dévastée, qui « gémit en travail d’enfantement » (2) et dans la conclusion, la prière pour notre terre (246) :
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
 
La dégradation des milieux de vie des pauvres démontre la relation forte entre pauvreté de la création et pauvreté des hommes : « Beaucoup de pauvres vivent dans des endroits particulièrement affectés par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs moyens de subsistance dépendent fortement des réserves naturelles et des services de l’écosystème, comme l’agriculture, la pêche et les ressources forestières. Ils n’ont pas d’autres activités financières ni d’autres ressources qui leur permettent de s’adapter aux impacts cli­matiques, ni de faire face à des situations catastro­phiques, et ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la protection. » (25)
 
Le parallèle que le Pape fait entre les "migrations d'animaux et de végétaux qui ne peuvent pas toujours s'adapter " au changement du climat car le climat se déplace plus vite que les plantes, et les "plus pauvres qui se voient aussi obligés d'émigrer avec une grande incertitude" est remarquable (25).
 
 
Il met également en relation l’épuisement des ressources naturelles et l’épuisement des cultures des peuples (145). Et le pape François de soutenir les actions des organisations qui se mobilisent pour défendre ces positions contre la faiblesse de l’action des pouvoirs politiques et la corruption (179).
 
Pour nous les pays riches sauvegarder la création c'est protéger ce qui reste de nature disponible chez nous (cf. les « ZAD », les zones à défendre), c'est l'enjeu crucial du maintien de la biodiversité nécessaire à notre survie, et ne pas importer de produits issus de la dégradation des forêts et espaces naturels des autres pays.
 
Magis et décroissance
Ignace nous appelle à prier notre vie, dont le travail représente dans la période active de ceux qui ont un emploi, environ la moitié du temps éveillé. Après deux passages sur ce qu'apporte le progrès techniques (102 et 103), le pape François lance deux alertes fortes, l'une sur la technique, l'autre sur le travail.
 
Résister à l'envahissement de la technique. Le pape cite le théologien italien Romano Guardini pour qui "ce qui est en jeu dans la technique ce n'est ni l'utilité, ni le bien être, mais la domination" (108). On retrouve la pensée de Jacques Ellul, la technique outil d'asservissement, non de libération. L'exemple des OGM illustre bien son propos (134). Le pape ajoute qu'il ne faut pas "que le progrès technologique remplace de plus en plus le travail humain, car ainsi l'humanité se dégraderait elle-même" (128). L’appel à la décroissance des pays riches est d’abord un impératif de justice (193), mais il doit nous permettre de vivre mieux, de vivre davantage (222).
 
C'est encore une remise en cause de la recherche continue de productivité, donc de la croissance. Etre plus avec moins. La « dégradation de l’humanité » c’est la perte d’emplois mais aussi la perte des compétences liées aux emplois qui disparaissent, remplacés par des machines (cf. Illich, Gorz). Alors quelles conséquences pour moi ? Freiner la robotisation et l’automatisation, aussi bien dans la production industrielle qu'à la maison ? Développer des emplois moins productivistes ?
 
La question démographique, pourquoi ?
Faisons ici une parenthèse. Si j’ai un regret par rapport à cette encyclique, c’est le passage sur la démographie (50) dans lequel il y a trois affirmations :
-          la réduction de la natalité n’est pas la solution à l’épuisement des ressources, elle évite de mettre en cause le consumérisme,
-          il faut prêter attention au déséquilibre de la distribution de la population sur le territoire,
-          la croissance démographique est compatible avec un développement intégral.
 
Autant les deux premières affirmations ne me posent pas de problème, autant la dernière semble considérer que la démographie échappe à la notion de limite, alors que celle-ci est affirmée fortement pour les autres dimensions de la création : le pape nous demande d’avoir « le courage de nous rendre compte de la réalité d’un monde limité et fini » (56), il considère que « le moment est venu de prêter de nouveau attention à la réa­lité avec les limites qu’elle impose » (116), et aussi en 66, 78, 106. C’est un sujet difficile au sein de l’Eglise, mais il semblerait nécessaire au moins d’engager un débat ouvert sur le sujet.
 
Choisir le plus urgent et le plus universel
Le plus urgent, c'est la défense de notre environnement, de notre climat. Il n’est plus temps de tergiverser (23). C’est l’objet de l’ensemble du premier chapitre (17 à  61). Il n’est plus temps de tergiverser : « L’humanité est appelée à prendre conscience de la nécessité de réaliser des changements de style de vie, de production et de consommation, pour combattre ce réchauffement ou, tout au moins, les causes humaines qui le provoquent ou l’accen­tuent. Il y a, certes, d’autres facteurs (comme le vol­canisme, les variations de l’orbite et de l’axe de la terre, le cycle solaire), mais de nombreuses études scientifiques signalent que la plus grande partie du réchauffement global des dernières décennies est due à la grande concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, méthane, oxyde de ni­trogène et autres) émis surtout à cause de l’activité humaine. »  (23)
 
Le plus universel c'est aussi la défense de l'environnement car le climat et les océans ne connaissent pas de frontières, leur modification touche tous les hommes, toute la création (20).
 
Sur l’ensemble des décisions à prendre, le Pape considère qu’il s’agit d’une rupture radicale, d’une conversion (il ne parle jamais de transition) et que vouloir concilier « la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l'environnement et le progrès » retarderait seulement un peu l'effondrement (194).
 
Cela ne signifie pas que nous devions abandonner les autres missions dans lesquelles de nombreux chrétien sont investis, auprès des malades, des migrants, des plus pauvres, des jeunes ou des personnes âgées, des chômeurs... mais que ces engagements sont de fait soumis à la question écologique, qui est surdéterminante. La dégradation de l'environnement provoque déjà, et accentuerait, l'accroissement des maladies, des migrations, de la pauvreté, tandis que les catastrophes écologiques et la raréfaction des ressources pèseront sur les budgets publics et donc l'aide aux jeunes ou aux personnes âgées.
 
Agir au niveau politique
Ignace, (et la compagnie de Jésus à sa suite), s'attachait à la fois à aider les plus pauvres et à aider les détenteurs du pouvoir dans le discernement nécessaire à leurs décisions. L'encyclique comprend de nombreux paragraphes relatifs aux décisions politiques, qui concernent les élus mais aussi tous les citoyens dans leur action au niveau local, leur engagement ou leur vote politique; citons les principales.
 
Reconnaissance de la dette écologique des pays riches (51)
Remise en cause des règles du commerce international (52) (une critique de l'OMC, des traités internationaux en cours de discussion comme le TAFTA ?) 
Établissement d'un système de normes environnementales mondiales "qui assure la protection des écosystèmes " (53) et (173), mais en tenant compte des problématiques locales (144).
Refus du marché carbone comme solution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre (171).
 
Les décisions à prendre sont donc d'ordre mondial, il s'agit de l'avenir de la biosphère. Mais compte  de l'impuissance des instances internationales l'engagement de chacun, au niveau local, est essentiel (179).
 
Sur l’ensemble des décisions à prendre, le Pape considère qu’il s’agit d’une rupture radicale, d’une conversion (il ne parle jamais de transition) : "il ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la protection de la nature et le profit financier, ou la préservation de l'environnement et le progrès. Sur ces questions, le juste milieu retardent seulement un peu l'effondrement." (194). Pas de juste milieu, il faut me convertir, mais je ne pourrai pas le faire tout seul, j’ai besoin de mes frères.
 
 Version longue d'un article rédigé à la demande du groupe des diacres ignatiens pour "Nouvelles du RDI", bulletin interne du Réseau de diacres de spiritualité ignatienne.

Arnaud du Crest, CVX Loire-Océan, membre du groupe Paroles de chrétiens sur l’écologie, Nantes.

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