Une marche où chacun compte

La théologienne Isabelle de La Garanderie retrace ici l'origine, le sens et l'importance du Synode sur la synodalité. Parce que la synodalité est fondée sur le sensus fidei, l'un de ses apports est de permettre la consultation et l'échange en vérité dans toutes les organisations d’Église et à tous les niveaux.

« Enfin, on va pouvoir tout réformer ! » « Oh, surtout que rien ne change ! » Qui n’a entendu ces réactions, enthousiastes ou apeurées, concernant le Synode ? Nombre de commentateurs ont voulu conférer à l’événement une teinte politique où celui qui parlerait le plus fort aurait le dernier mot. Or réfléchir à ce synode en termes politiques, voire de lobbies, c’est passer à côté de son sens, de son origine et de son importance. S’il est évident qu’on ne peut être naïf et récuser tout aspect politique aux rassemblement ecclésiaux, l’enjeu n’est clairement pas là. On l’a souvent rappelé : synodos signifie étymologiquement « marcher ensemble ». Mais, une fois qu’on a dit cela, de quoi s’agit-il exactement pour ne pas en rester à une promenade communautaire où l’on ne fait que regarder le paysage ? 

Dans nos organisations d’Église, nous n’avons que peu de lieux concrets où chacun peut s’exprimer : il y a certes des équipes où l’on peut se rassembler selon ses centres d’intérêt mais quels sont les lieux où nous pouvons rencontrer celui qui est différent ? L’Eucharistie demeure un moment favorable mais elle est suivie de bien peu d’échanges ! Pourtant, en Église, nous croyons foncièrement et nous affirmons que chacun est important et que chacun a quelque chose à partager. Mais nous sommes loin de le vivre. Dans l’Église quelques-uns souvent décident pour tous, sans obligation de consulter largement, ce qui crée des enjeux de pouvoir parfois clivants. Il s’agit au contraire, ensemble, de nous reconnaître baptisés, peuple de Dieu, corps du Christ dans la variété de nos ministères et de nos charismes.

S’agirait-il pour autant de faire de l’Église une démocratie ? Absolument pas. S’il y a bien derrière cela une invitation à ce que la gouvernance de l’Église soit plus collégiale, il s’agit bien plus largement de mieux vivre et fonctionner ensemble : en réalité d’être plus crédibles. Or, la synodalité, c’est justement cela : apprendre un nouveau style de fonctionnement ecclésial, essentiellement dialogal. Il s’agit là de vivre concrètement le fait que chacun est précieux et important, que, sans elle ou sans lui, il manquerait quelque chose.

Ainsi, la synodalité est d’abord fondée sur le sensus fidei ou « sens de la foi ». Le pape François utilise souvent le terme de « flair » pour désigner cette notion, rappelant que les brebis savent toujours d’instinct où se trouvent les verts pâturages, parfois bien mieux que ceux qui sont en charge de les guider. Et concrètement ? C’est croire que chacun reçoit ce « sens de la foi », que Dieu parle au cœur de chacun pour le bien de tous. Faut-il pour autant suivre l’un parce qu’il a dit ceci ? Le sensus fidei n’est pas une opinion à brandir devant autrui pour susciter une adhésion. Bien au contraire, s’il est déposé en nos cœurs, c’est de manière communautaire qu’il s’exerce et se discerne. C’est d’ailleurs dans une atmosphère priante qu’il convient de se situer, pour écouter vraiment ce que dit l’Esprit au cœur de chacun.

Tous ces éléments sont importants pour comprendre la synodalité. Comme le pape François le rappelait lors des dernières JMJ de Lisbonne - « Todos, todos, todos » - : tout le monde a sa place dans l’Église. Prendre au sérieux le sensus fidei de chacun, c’est croire que même le plus éloigné a quelque chose à apporter et cela contribue à une Église plus accueillante, qui place au premier plan le ministère de l’écoute. Aussi la synodalité n’est-elle pas vraiment vécue si l’on ne veille pas à aller chercher les plus éloignés de nos lieux ecclésiaux : le « todos » n’est que partiel quand nous amputons le Corps du Christ de certains de ses membres. Comme le dit encore le pape François : « Chaque baptisé, quelle que soit sa fonction dans l’Église et le niveau d’instruction de sa foi, est un sujet actif de l’évangélisation, et il serait inadéquat de penser à un schéma d’évangélisation utilisé pour des acteurs qualifiés, où le reste du peuple fidèle serait seulement destiné à bénéficier de leurs actions[1] ». Cette « marche ensemble » nous aide donc aussi à sortir d’une Église auto-référentielle qui se refermerait sur les seuls chrétiens déjà engagés.

Cependant, l’écoute commune ne suffit pas, il faut aussi que la parole soit vraie. Or la synodalité incite à sortir de l’autocensure pour dire vrai, avec liberté et audace. Pour accueillir celle-ci et discerner ensuite, la conversation dans l’Esprit vécue au synode d’octobre 2023 semble assez remarquable : elle donne place à l’écoute, à la parole, à l’échange et à la prière. C’est ainsi que les cœurs des uns peuvent se laisser toucher par ceux des autres pour que notre Église rayonne davantage le Christ. Car « quand l’Église, dans la variété de ses charismes, s’exprime en communion, elle ne peut pas se tromper : c’est la beauté et la force du sensus fidei, de ce sens surnaturel de la foi qui est donné par l’Esprit Saint afin qu’ensemble nous puissions tous entrer dans le cœur de l’Évangile et apprendre à suivre Jésus dans notre vie[2] ».


Isabelle de La Garanderie


Isabelle de La Garanderie, agrégée de Lettres modernes, enseigne dans un lycée de banlieue. Vierge consacrée du diocèse de Nanterre, elle est doctorante en théologie dogmatique au Centre Sèvres.  Elle a récemment contribué à l’ouvrage collectif :
Se réformer ou mourir ?
Sept théologiennes prennent la parole 
Éd. Salvator, octobre 2023