La conversation dans l’Esprit est-elle une prière ?

Pendant le synode sur la synodalité, la conversation dans l’Esprit a été proposée comme manière de faire pour aider lesparticipants à entrer dans une écoute profonde de l’Esprit et une écoute des uns des autres.

Concrètement, les membres du synode étaient répartis par tables, avec des groupes d’une douzaine de personnes, accompagnés par un facilitateur ou une facilitatrice, garant du temps et de la méthode. Après un temps de prière - écoute de la Parole de Dieu, demande à l’Esprit... -, chacun des participants était invité à partager le fruit de sa prière et de sa réflexion sur les sujets proposés par le document de travail, lui-même fruit d’une écoute du Peuple de Dieu et des questions posées à l’Église.
Pendant ce premier tour d’écoute, chaque personne parlait 4 minutes. Puis, après un temps de silence pour laisser résonner ces paroles, chacun, chacune, pendant un second tour, reprenait ce qui l’avait touché, interpellé dans ce qu’il avait entendu des autres membres du groupe. Dans un troisième tour, après un nouveau temps de silence, il s’agissait de recevoir ce que le groupe entendait comme convictions dissensus, propositions ou points à creuser sur le sujet proposé. Il pouvait y avoir, avant ce troisième tour, des questions pour des précisions ou des échanges d’expérience afin de mieux comprendre ce que l’autre cherchait à exprimer.

On peut dire que cette manière de faire relève de la méthode. Comme dans les Exercices Spirituels, lorsque saint Ignace invite le retraitant à se disposer physiquement et spirituellement à choisir le lieu propice àl’écoute : le texte sur lequel il va prier ; une durée déterminée ; une demande de grâce à formuler après la prière préparatoire. En effet, la façon de faire la conversation dans l’Esprit détermine un cadre de silence et de parole, d’écoute et de disposition qui sont de l’ordre de la méthode.  Mais la conversation dans l’Esprit n'est-elle qu’une méthode ou peut-elle être considérée comme une prière ?

Il y a de multiples formes de prière. En plus de toutes les formes de prières habituelles, personnelles ou communautaires, saint Ignace évoque l’art de la conversation spirituelle. Il s’agit d’une manière de reconnaitre l’Esprit à l’œuvre en échangeant sur des sujets profanes ou spirituels tout en cherchant à y reconnaitre la trace de Dieu en l’autre, dans les évènements ou les sujets évoqués. Par l’écoute intérieure de son interlocuteur, Ignace invite à rester attentif à ce qui se passe en soi-même. C’est la force du discernement au quotidien, dans la vie. Être à l’écoute de ce qui se passe en soi, lorsque nous échangeons avec les autres, pour repérer ce qui vient du bon Esprit ou du mauvais esprit. Il s’agit de chercher à interpréter et à repérer l’action de ces divers esprits. L’interprétation et l’analyse de ce qui se passe aide alors à choisir ce qui va dans le sens du Bon esprit et à prendre des décisions selon ce que l’on perçoit de la volonté de Dieu. Cela demande de prendre du temps personnel de relecture pour nommer ce qui s’est passé et interpréter à la lumière de l’Évangile.

Pour que la conversation dans l’Esprit soit vraiment un discernement et une prière, il s’agit de la même conversion à vivre que pour beaucoup d’autres lieux de nos vies, et même de notre prière. C’est-à-dire se mettre dans une véritable disposition d’écoute, de disponibilité intérieure pour accepter de se laisser transformer par La Parole de Dieu, par la parole de l’autre. Entendre ce qu’il ou elle dit, laisser résonner cette parole en soi pour en repérer le goût intérieur et discerner l’appel et la présence de l’Esprit à l’œuvre. Est-ce que cela sonne juste, m’agace, et pourquoi, qu’est-ce que cela laisse comme goût ? Est-ce que cela produit de la joie, de l’enthousiasme, de la tristesse, de l’ennui ? Une sortie de soi est requise, un accueil bienveillant de l’autre, un décentrement tout en étant attentif à ce qui se passe en soi !

Le facteur communautaire de cet exercice invite chacun à sortir de son avis propre pour entrer dans une construction commune, à chercher la volonté de Dieu à travers les paroles reçues les uns des autres et à l’écoute de la Parole de Dieu, sans la chosifier. On peut reconnaitre les fruits de l’Esprit par la joie éprouvée quand le groupe peut reconnaitre ses propres convictions en Dieu, les points sur lesquels il y a encore du chemin à parcourir pour trouver une voie commune. Ce processus s’inscrit dans la durée et c’est le chemin parcouru ensemble qui crée la fraternité et l’amitié partagée, comme sur le chemin d’Emmaüs. La reconnaissance du passage de Dieu à travers ces rencontres est source d’action de grâce qui nourrit la prière personnelle en l’élargissant à une dimension communautaire.

Si la prière est une manière de se disposer à écouter et de répondre à un appel, la Parole entendue dans le silence, les événements, les autres, alors oui, la conversation dans l’Esprit est bien une prière !

Christine Danel, xavière
Ancienne supérieure générale de La Xavière, sœur Christine Danel a été experte facilitatrice lors de l'assemblée synodale d'octobre 2023.

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